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Souvenir - 4
--> Cérémonie funèbre
Les acclamations, les chants, les cris de joie ne s'arrêtaient pas, dehors. Ca faisait des heures que ça durait. Même là, au grenier, elle gardait les yeux grands ouverts en regardant le bout de ciel étoilé par la lucarne dans le toit. Elle se redressa avec un sourire, et jeta un coup d'oeil à la forme dans l'autre lit, où les cheveux bruns un peu ébourriffés dépassaient de la couverture.

"Tu dors ?"

Il se redressa à son tour et lui fit un sourire.

"Non."

"On va voir ?"

"D'accord."

Il se levèrent tous les deux et amenèrent la chaise au beau milieu du grenier. Comme elle était la plus grande, elle se hissa dessus, et tendait la main vers la lucarne pour l'ouvrir, quand.. deux personnes vinrent s'asseoir sur le toit. Deux amoureux qui regardaient sûrement le spectacle.

Elle gloussa en montrant au garçon le couple d'intrus. Riant sous cape, ils espionnèrent leur conversation pendant quelques temps encore, pendant que dehors les supporters continuaient de fêter leur victoire footbalistique, que eux deux, n'avaient pas vue.




"Tu es prête ?"

"J'arrive, j'arrive..." .. grognai-je en réponse à ma mère, en me détaillant dans le miroir. J'étais complètement habillée de noir. Des sous-vêtements aux chaussettes. Je sortis un crayon noir, et m'en entourai les yeux, ne me gênant pas pour en mettre beaucoup, quitte à faire ressortir encore plus mon teint pâle. J'aurais voulu que mes yeux et mes cheveux soient noirs aussi. Ils contrastaient fortement avec le reste. J'avais l'air d'une gothique manquée, avec du gel dans mes cheveux trop courts. J'aurais voulu avoir du vernis noir, aussi. Par souçi d'harmonie.

Et mes cheveux n'avaient pas le droit d'être clairs, mes yeux n'avaient pas le droit d'être bleus, aujourd'hui. Depuis vendredi, en fait.

Je me regardais encore. J'avais de légères cernes bleutées sous les yeux, et je n'avais pas bonne mine.

Ma mère m'appela encore. J'attrapai mon sac de cours, et sortis de ma chambre, la rejoignant.

Nous prîmes le métro ensemble. Dans le sens inverse de celui que je prenais toujours pour aller à la fac. C'était comme si je sombrais peu à peu dans un monde parallèle. Si je ne m'étais pas retenue, je me serais enfuie. Ma place était à la fac avec L à raconter des conneries en me foutant de Y. Pas ici, assise en face de ma mère silencieuse. Je regardais par la fenêtre. Mais bientôt, même le paysage de mon quartier disparut, et nous plongeâmes dans le tunnel.

Qu'importe. Je regardais les lumières jaunes passer. J'essayais de lire les tags. J'évitais de regarder ma mère. Dans une heure, mon cours de kanji commençait. Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? Sécher juste pour ça... Mais c'était trop tard, j'avais déjà dit oui à ma mère dès samedi. je n'avais pas réfléchi, sûrement à cause du choc.

Le trajet trop long s'acheva, et en sortant, ma mère insista pour que nous achetions des fleurs. Je ne bronchai pas. D'ordinaire, j'aurais protesté, dit que ce n'était pas la peine. Mais là, je me contentais de rester en retrait, mal à l'aise, sans dire un mot. Ma mère parlait à la fleuriste, et je détournais les yeux. Quel besoin avait-elle de dire que c'était pour un enterrement, pour un jeune homme de 16ans qui venait de mourir d'un cancer ? Je fixais des yeux un bouquet de fleurs, le détaillant d'un regard morne.

Je revins à la réalité lorsque ma mère me tendit les deux roses blanches. Alors j'allais devoir en tenir une moi aussi ? Moi qui n'aimais pas les fleurs... Je les regardai, toutes les deux, enveloppées dans leur papier de couleur. Ridicule. Bah. Au moins, je saurai quoi faire de mes mains pour cacher ma gêne.

On est sorties du magasin comme ça, nous dépêchant de rejoindre le cimetière. On devait bien avoir une demi-heure de retard. Et ma mère semblait ne pas trouver où c'était. Je me demandais pour la énième fois ce que je foutais là, lorsqu'on a croisé un groupe de jeunes qui portaient des fleurs eux aussi. Aussitôt, ma mère se précipita vers eux pour leur demander cash s'ils allaient à la cérémonie funèbre pour A. Je restai en retrait. Non seulement j'avais honte du comportement de ma mère, mais je n'avais pas la moindre envie de voir des gens. Mais je les regardais quand même du coin de l'oeil. Alors c'était à ça que ressemblaient les amis de A ? Des jeunes lycéens normaux, l'air sympa et un peu sérieux, et perdus.

Je regardais au loin, sans les saluer. Ils devaient peut-être se demander qui j'étais, moi. Mais rien à foutre. Mon malaise augmenta d'un cran quand, mêlées au groupe, nous entrâmes dans le bâtiment. Des types nous renseignèrent, et menèrent notre troupeau docile vers une salle comble à craquer, qui dépassait même largement dans le couloir.

Je cachais ma surprise aussi bien que je le pus. Plein de monde. Il y avait moitié jeunes, moitié vieux. Ses parents avaient beaucoup d'amis, dont les miens. Ca, ce n'était pas étonnant. Mais que A ait eu autant d'amis, c'était impressionnant. Mais il avait toujours été discret, intelligent, et absolument adorable. Il attirait les gens et les mettait à l'aise presque sans rien dire. Je jetai un coup d'oeil, en me mettant sur la pointe des pieds, au cercueil. Heureusement que j'étais grande, car pour voir par-dessus cette foule... Mouais, c'était un cercueil, quoi. Rien de passionnant. J'étais consciente que son corps devait être dedans, mais ça ne me faisait ni chaud ni froid. Je me demandais seulement à quoi il pouvait ressembler dans la mort. Lui avait-on mis un costard ? Avait-il l'air paisible ? Ou était-il si horrible à voir qu'ils avaient laissé cette boîte fermée ?

Un type bouscula ma mère pour mieux voir, et la critiqua comme quoi c'était elle qui avait poussé. Je le toisais longuement, et un rictus narquois vint flotter sur mon visage. J'avais envie de rire. Il cassait l'ambiance dramatique avec son comportement irrespectueux. Si un abruti pareil venait à ma propre mort...

Je commençais à avoir mal aux pieds, et envie de dormir. On entendait rien, d'ici. Ils mettaient de la musique, de temps en temps, et puis des gens venaient faire des discours. Ca durait bien trop longtemps, et c'était franchement ridicule. Je regardai ma montre. Ah, mon cours venait de commencer. J'avais de plus en plus envie de me tirer. C'est bon, A était mort, point final. Qu'est-ce qu'on foutait tous ici ? Oui, oui, je sais, je comprenais bien que se rassembler et causer de son chagrin, pouvait soulager un peu la peine de certains, et les aider à faire le deuil. En tout cas, pour moi, ça marchait pas comme ça. Les murs blancs et vides, le style neuf du bâtiment n'aidaient en rien.

Je voyais des gens pleurer plus ou moins discrètement, devant. Je ne me sentais pas à ma place, je n'avais pas envie de pleurer, moi. Enfin, c'était peut-être parce que j'entendais pas ce que ça racontait, devant, près du cercueil. Je me dis "enfin !", lorsque ce fut fini. Un des types en costard, genre hôtelier, vint ramasser les fleurs, mécaniquement. Je lui tendais ma rose blanche en le regardant de mon air le plus méprisant et froid possible.

C'était style usine, cette fausse cérémonie à la con. "Vous payez pour la salle pour un nombre d'heures limitées, vous passez à la suite pour raconter à quel point vous êtes tristes, on vous prend le cercueil, on récupère les fleurs. Pleurez bien en attendant qu'on le crame et qu'on vous ramène les restes. Puis, grouillez-vous de partir, on a d'autres morts et d'autres familles et amis éplorés qui font la queue."

Ma mère, scandalisée, me fit la même remarque, alors que toutes les fleurs partaient, et qu'on nous menait dans une salle plus grande. j'acquiesçai sans mot dire. Je voyais les parents et les soeurs de A, plus loin, mais je fis comme si de rien n'était. Je ne voulais surtout pas leur parler. Je ne voulais parler à personne. Juste partir.

Je faillis éclater de rire quand le pingouin (le type en costard), vint nous dire avant de partir, un truc du genre : "Nous allons incinérer le corps, en attendant, vous avez une heure devant vous pour vous remémorrer à l'aide des photos, vous pouvez laisser un mot dans le book.." Il aurait dit "des mouchoirs sont à votre disposition", que ça m'aurait pas étonnée. Non, vraiment, je me serais crue au centre aéré. Et pourquoi ne pas faire des jeux aussi, pendant qu'on y était, hein ?

Ridicule. Ils auraient dû faire ça dans une église. Je ne suis pas croyante, mais ça aurait été de suite plus crédible. Je me demandais vaguement ce que A en aurait pensé, alors que les mains dans les poches, je restais plantée dans un coin, à regarder les groupes de vautours se jeter sur les photos et les stylos. Tss...

Il y avait des chaises plus loin, mais je ne voulais pas aller m'asseoir avec ces gens que je ne connaissais pas. Alors, j'attendais, baillant discrètement, et regardant ma montre. L et Y devaient être en train de gratter en cours, là. Ma mère vint me proposer d'écrire un mot, ensuite, mais je déclinais en secouant la tête. Ca me rappelait trop le collège, avec les mots stupides sur les agendas. "Wouah trop cool on est en histoire et je me fais chier, alors, t'as toujours pas de petit copain ? Tu es une super amie et j'espère qu'on sera toujours ensemble, et tu sais en ce moment je suis amoureuse mais chut [...]". D'ailleurs quand je relis ça aujourd'hui, je me dis que l'âge con, c'est vraiment le collège-lycée.

Qu'est-ce que j'aurais pu écrire, de toute façon ? "Salut A, ça fait des années qu'on s'est pas vus, et avant qu'on puisse se revoir, hop, tu crèves. J'ai encore tes mails sur mon ordi. Tu te rappelles de quand on skiait ensemble ? Et que tu épluchais les pommes et oranges pour la salade de fruits du matin ? Et quand on se marrait dans la bagnole avec le masque de monstre, à faire flipper les voitures qui passaient à côté ? Trop cool, non ? Dommage que tu sois crevé, j'aurais bien voulu qu'on reparte en vacances ensemble ! Allez, tchuss !" Non, ridicule... Finalement, ma mère écrivit un truc court de convenance, et signa aussi pour moi.

Je me faisais profondément chier. Les vautours s'étaient éloignés de photos, alors je m'y rendis, un peu curieuse de voir à quoi il avait pu ressembler, toutes ces années où je ne l'avais plus vu.

Apparament, il avait grandi, mais toujours le même regard attachant. De quelqu'un de sage. Qui te comprend, et qui comprend le monde entier. Toujours entouré d'un groupe d'amis.

Je laissais tomber les photos. La "cérémonie" était finie, et les gens se regroupaient autour des parents de A. Son père faisait un discours. J'étais dans le cercle. Il citait un passage de je ne sais pas quel livre. Qui disait que l'enfant était venu dans ce monde pour une raison inconnue, avait vécu son bout de vie en répandant le bonheur autour de lui, et repartait car son heure était venue, continuant son voyage seul...

Et ce fut en voyant ses yeux pleins de larmes, sa voix tremblante, son regard tellement empli de douleur que ça me faisait mal de le regarder, que je compris. Je compris que A était mort, et ne reviendrait plus. Lui que je considérais presque comme mon petit frère. Je fus surprise de sentir mon nez me piquer, et ma gorge se serrer. Je baissai aussitôt les yeux, n'écoutant pas la suite, me retenant de pleurer. Je me repris bien vite, mais les larmes qui n'avaient pas coulé restaient dans mes yeux. Je les gardais ouverts, espérant que ça sècherait vite si je ne clignais pas des paupières.

Je fis la bise à la famille de A, à quelques amis de mes parents, et m'éclipsais ensuite avec ma mère. Ma mère qui discuta encore dehors avec, apparamment, la prof principale de A, qui s'en alla ensuite.

Dans le métro, j'ouvris enfin la bouche, juste pour dire : "Quand je pense que lui, il meurt à 16ans à peine, et que des ordures comme Pinochet n'arrivent pas à crever...".

Ma mère me répondit seulement "Les meilleurs s'en vont les premiers."

***
***
***

J'entrai dans la salle de cours, avec une heure et demie de retard environ. Je fis un pâle sourire à L, et vint m'asseoir à côté d'elle. Elle ne fit aucun commentaire. Je l'avais prévenue, la veille. Y, lui, me jeta un vague coup d'oeil à peine réveillé, et un brin narquois. Sûrement qu'il pensait que je m'étais rendormie ou un truc comme ça. Je ne lui jetai pas même un regard. Je n'étais pas encore sortie de cet autre monde, dont j'étais imprégnée. C'était l'été et j'étais la seule vêtue de noir. Les paroles du père de A, les pleurs, les chuchotements feutrés, résonnaient encore dans ma tête. Alors qu'ici, tout était si normal. Pas une trace de mort. Les gens riaient, parlaient de cours et d'exams. La prof faisait son cours comme d'habitude.

Et cette boule dans ma gorge qui ne voulait pas partir...
Ecrit par Gazougazou, à 19:01 dans la rubrique "Souvenirs et rêves".

Commentaires :

  hermann
hermann
13-05-06
à 13:59

:(

Et bien, et bien....

Que dire? C'est assez touchant et noir... Comme si une carapace t'empéchait de t'exprimer, consciemment ou non... Tu gardes tout, sans digérer... Enfin telle est mon impression!

Est-ce le Fameux Ami? Celui par lequel on peut etre certain que tu ne trahiras pas ta parole lorsque tu jures par lui?

Par contre, le premier souvenir est bien étrange du coup, en "comparaison"....

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  Gazougazou
Gazougazou
13-05-06
à 14:19

Re: :(

Oui, c'est lui..

Disons que pour faire contraste, je voulais mettre un de mes anciens souvenirs de lui, juste avant celui de son incinération.. J'ai beaucoup hésité, mais j'ai choisi ce souvenir tout simple de quand j'étais au ski avec lui, dans un endroit sans télé, sans radio, sans rien...
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  hermann
hermann
13-05-06
à 15:15

Re: Re: :(

Je me doutais bien que c'était lui et que le premier souvenir était en rapport....

Ce que je trouve notable en revanche, c'est comment tu dévellopes la partie sombre... Comme si tu voulais l'exorciser du fait que tu n'ais "pu" en parler, comme si enfin, grâce au joueb, tu arrivais à faire sortir cela de toi (enfin sortir, je m'entends, c'est presque une intro en fait)....

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  Gazougazou
Gazougazou
13-05-06
à 16:18

Re: Re: Re: :(

Disons que j'avais besoin d'écrire ça en détails non seulement pour figer ce souvenir avant qu'il ne disparaisse, et aussi pour rendre hommage à A à ma manière, puisque je ne sais pas purger ma peine autrement qu'en écrivant...
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  hermann
hermann
13-05-06
à 21:55

Re: Re: Re: Re: :(

Je vois, je vois....

T'aurais pas un bon souvenir à dévelloper ou c'est plus dur? Franchement, ça me plairait d'en lire un... Comme tu sens!!

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  Gazougazou
Gazougazou
13-05-06
à 22:08

Re: Re: Re: Re: Re: :(

Un bon souvenir ? O___o

C'est plus difficile, déjà... Vu que j'ai pas spécialement de bon souvenir court et intense, facile à écrire.. J'ai des bons souvenirs qui durent des heures, qui sont composés de plein de petites choses, de blagues, d'une ambiance, de gens que j'aime bien...

Je vais réfléchir, voir si je peux essayer d'en trouver un...

*se gratte le crâne d'un air perplexe*
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